En près de 40 ans, Bernie Ecclestone a transformé la Formule 1, tant sur le plan sportif que structurel ou économique. De discipline traitant d’égale à égale avec l’Endurance pour une poignée de Grand Prix voyant s’empoigner quelques artisans et de plus rares constructeurs alignant des monoplaces confiées à des As du volant pluri-disciplinaires, la Formule 1 est devenue une machine de guerre réservée à des entreprises d’envergure mondiale ultra-spécialisées concevant et fabriquant des prototypes hors de prix et d’une rare complexité pilotés par des spécialistes mi-ingénieurs mi-robots médiatiques.
Qui n’avance pas recule
Graal de tout pilote en devenir, la F1 se voit aujourd’hui concurrencée par l’Endurance, preuve de l’essor des Prototypes qui profitent de l’aura des 24 Heures du Mans et proposant des épreuves disputées et spectaculaires quand la discipline reine de la monoplace n’offre plus que de lancinantes processions trop rarement émaillées de coups d’éclats. Autant dire que si le produit garde un vrai potentiel, l’héritage laissé par le magnat britannique s’apparente à un cadeau empoisonné pour qui ne saura le déballer avec dextérité.
Il sera donc essentiel pour Chase Carey – successeur désigné d’Ecclestone – de s’entourer des bonnes personnes aux places adéquates. Entre respect des valeurs traditionnelles et ouverture à la communication moderne, entre nécessité d’élitisme technique et technologique et limitation des coûts, entre volonté d’expansion et reconstruction d’un public, les défis à relever ne manquent pas… et les casse-têtes non plus. Pour cela, des hommes « jeunes » et ouverts autant que compétents seront absolument nécessaires pour remplacer le Parrain octogénaire empêtré dans ses habitudes d’un autre temps.
En restant campé sur son mode de gestion à l’ancienne, en négligeant les petites équipes ou en remplaçant les épreuves européennes statutaires par des destinations exotiques avant tout synonymes de rentrées généreuses pour lui, Ecclestone a figé la F1 dans une époque échue tout en lui ôtant un peu de son âme. Carey et Liberty Media devront y remédier sous peine d’avoir réalisé l’investissement le moins rentable de leur histoire.
La F1 est arrivée à la fin d’un cycle et nombreux sont les facteurs encourageants quant à un avenir plus gratifiant : l’éclosion de jeunes pilotes à forte personnalité comme Verstappen, Ricciardo, Vandoorne; les bons débuts d’une écurie américaine; le retour au Mexique et son succès populaire, des premiers pas timides sur les réseaux sociaux – bien appuyés par certaines équipes en vue – élément essentiel aujourd’hui; le retour d’un Grand Prix de France en 2018. Mais il reste beaucoup de travail.

Mieux partager, mieux communiquer, mieux règlementer
D’aucuns ont pour coutume de dire que la Formule 1 est morte ou à tout le moins dépassée. Ils ont tort! C’est la Formule 1 made by Bernie qui a fait son temps. Les Américains n’ont pas l’habitude d’investir massivement sans être persuadés de pouvoir gagner de l’argent avec leur nouvelle acquisition. Si Liberty Media s’est offert la catégorie monoplace la plus relevée, c’est qu’elle y a décelé un véritable potentiel.
Le renouveau de la F1 devra se faire sous trois axes principaux : le plateau, le public, le spectacle. Analysons les trois aspects et tentons de proposer des pistes de travail à même de solutionner les problèmes de la Formule 1 moderne. En faisant un premier constat, l’arrivée de Ross Brawn (pan sportif) et Sean Bratches (pan commercial) pour assumer des rôles en vue dans l’organigramme du nouveau management de la discipline représente un signe fort!
- Le plateau – Plus d’équité entre les équipes
Pour qu’un sport soit fort, il lui faut de la concurrence à tous les étages pour créer une émulation positive et relever le niveau global de la compétition. Un objectif simple dans l’esprit, mais jamais atteint dans les faits durant l’ère Ecclestone. Inégalité dans la redistribution des revenus entre grosses et petites équipes, complexité étudiée des règles, visibilité exacerbée des « grands » au détriment des « petits », escalade incessante des coûts, autant de facteurs qui ont creusé un abîme entre les ténors (Ferrari, Mercedes, Red Bull) et les débutants et artisans (Sauber et Manor en tête). D’une discipline taillée pour les constructeurs et les riches, la F1 doit revenir à un équilibre favorisant l’ingéniosité et limitant l’impact de l’argent.
L’autre pierre d’achoppement concerne la répartition des revenus entre les équipes. La disparition annoncée de Manor constituera la bonne affaire pour Sauber – ou toute autre équipe en retrait sur la piste – puisqu’il n’y aura plus que 10 écuries engagées et donc toutes certaines de pouvoir – au pire – profiter de la manne dévolue à la dixième place du championnat Constructeurs. Cependant, en vertu des derniers accords signés, le système actuel qui favorise outrageusement les grosses pointures – et plus particulièrement Ferrari – devrait sévir jusqu’en 2020 conformément au bail de 5 ans dudit contrat. Tout changement de cette répartition pour un nouveau système de distribution des revenus nécessiterait un accord unanime des écuries ou l’obligation pour Liberty Media de faire valoir un cas de force majeur en tant que nouveau propriétaire de la Formule 1.
En outre, la configuration actuelle n’incitera pas les candidats à se bousculer au portillon pour intégrer le peloton. Mais la volonté de Liberty Media étant d’établir une vision à long terme, l’horizon 2020 pourrait donc laisser une belle marge de manoeuvre à Carey et Bratches pour proposer une formule plus équitable et attrayante.
- Le public – Mieux communiquer pour séduire davantage
En dépit des talents de négociateur de Bernie et des énormes dépenses des promoteurs, certains Grand Prix, pourtant nantis d’une histoire établie en F1 ou d’un tracé réussi, ont mis la clé sous la porte faute de public dans les tribunes pour renflouer les caisses : Allemagne, Turquie, Inde. La Corée a sauté pour raisons politique et financière (Tonton était trop gourmand) sans manquer à la discipline alors que la Russie ne doit sa présence qu’à la volonté de son dictateur. Mais une constante reste : le public se fait chaque année plus rare dans les travées et tribunes. Seules quelques exceptions subsistent, les rendez-vous du Mexique – les Mexicains sont tellement heureux de récupérer un Grand Prix célébrant leur passion pour ce sport – Monaco, Silverstone – la Grande Bretagne reste le berceau de la Formule 1 – Spa qui profite de l’effet Max Verstappen et qui s’amplifiera avec la présence de Stoffel Vandoorne.
Même l’Allemagne bois le calice jusqu’à la lie en dépit d’un constructeur dominateur et d’un troisième sujet champion du Monde des Pilotes. Quant à Monza, la « mauvaise » passe de Ferrari après l’ère Todt et le feu de paille Alonso-Vettel ne peut empêcher la baisse de fréquentation de ce tracé mythique. Normal les supporters traditionnels ne rajeunissent pas, la population ne devient pas plus riche, que du contraire et l’offre médiatique favorise l’envie de rester à la maison devant son petit écran. Et même sur ce plan-là, la tendance est à la chute.
Le défi de Sean Bratches et de son équipe sera de faire honneur au nom de son employeur – Liberty Media – en donnant davantage libre cours à la créativité en termes de communication, de promotion et de médiatisation. Les nouvelles générations de fans potentiels ne consomment plus les médias et les spectacles de la même manière qu’avant. Leur préférence va à l’instantané, au multi-live, à la liberté de choix, à l’action sans temps mort et à l’interactivité, que ce soit avec les médias ou les acteurs du sport.
Entre applis, accès aux caméras embarquées, échanges avec les pilotes, votes pour leur favori, prix à gagner, offre télévisuelle et streaming élargie ou changement de format des courses d’une part, amélioration des infrastructures destinées aux spectateurs, augmentation du nombre de dépassements en piste, tarifs plus abordables ou rencontres avec les teams managers ou pilotes d’autre part, les pistes ne manquent pas. Reste à trouver les bonnes et à parvenir à se renouveler pour satisfaire un public sans cesse plus exigeant et plus volatile à la fois. De la réussite de ce défi dépend l’attractivité de la discipline et donc le potentiel de séduction des spectateurs ET des commanditaires.
- Le règlement – Bon sens, équilibre et impartialité requis
Avec un règlement technique imposant des technologies trop onéreuses en développement et dont les tarifs ne sont pas plafonnés assez bas (moteur turbo, hybridation), un personnel autorisé non limité et une multiplication des Grands Prix exotiques (Russie, Singapour, Chine, Abu Dhabi, Bahrein…) pour 20 ou 21 épreuves au total, la Formule 1 coûte exagérément cher, ne fut-ce que pour participer. S’y ajoutent des changements de règlementation trop fréquents sur des éléments très coûteux (coque, moteur hybride). Ross Brawn et ses ouailles devront trouver la bonne formule en fonction des enseignements de la nouvelle donne technique entrant en vigueur en 2017 pour établir une règlementation technique stable pour au moins 5 ans.
Pourquoi ne pas imposer un nombre limité de coques différentes à trois pour cinq saisons afin de permettre aux petites équipes d’amortir ce poste dans leur budget sur deux saisons ou plus. Pourquoi ne pas imposer un pack de batteries et un système de freinage avec récupérateur d’énergie cinétique standardisés pour 5 ans, toujours pour favoriser l’amortissement des dépenses et l’abaissement des coûts généraux? La F1 ne doit pas forcément se simplifier sur le plan technologique mais se montrer plus pragmatique dans son approche. Une approche à la LMP2 serait judicieuse et aiderait les petites équipes sans pour autant pénaliser les grandes.
Nous avons une opportunité sans précédent de travailler main dans la main avec les équipes et les promoteurs pour une F1 meilleure pour eux et, plus important encore, pour les fans. (Ross Brawn)
Avec la disparition quasi certaine de Manor, le plateau ne comptera plus que 20 monoplaces dont les 2 Sauber qui rouleront avec le couperet sur la tête et un tablier rendu en fin de saison si elle ne parviennent pas à se remettre au niveau de Toro Rosso, Haas ou Renault. Or, la formation helvète devra composer avec un moteur 2016 là où la concurrence utilisera des itérations 2017 non limitées en développement désormais…
L’autre pan de ce chapitre touche aux règles sportives. Encensé par le public et certains pontes de la Formule 1, décrié par la quasi totalité de ses collègues, Max Verstappen est un prodige qui cristallise les failles du système actuel. Entre variations de jugement d’un collège sportif à un autre (ce dernier changeant à chaque course), décisions partiales et application du règlement castratrice, le bât blesse sur l’aspect sportif également. En l’absence d’une ligne de conduite claire, unique et favorable au spectacle, la lisibilité de la compétition pêche et les tensions entre acteurs montent inutilement, nuisant parfois à la sécurité des protagonistes et des autres intervenants. Pas de quoi fidéliser les fans.
Pourquoi ne pas établir un collège sportif unique pour la saison, veiller à laisser plus de latitude aux pilotes et assurer une application IMPARTIALE des règles en vigueur. Plus les choses sont simples à comprendre moins elles donnent à réfléchir et plus elles font la part belle au spectacle.
En conclusion, il semble évident qu’aucun des remplaçants de Bernie Ecclestone n’est appelé à battre ses 40 ans de longévité et il ne faut pas nier les réussites de ce dernier pour uniquement se déchaîner sur ses échecs et autres manquements. Par contre, au vu des intentions sur le long terme de Liberty Media, gageons que Carey, Brawn et Bratches sauront trouver des solutions et innovations en phase avec l’évolution de la société et de la manière de consommer le spectacle des jeunes générations. La F1 a toutes les cartes en main pour retrouver un jeu gagnant. Aux joueurs de la partie à mieux les exploiter.