Depuis quelques années, Thierry Neuville est reconnu par ses pairs et par l’ensemble des médias et du public comme un pilote d’avenir avec un gros potentiel mais qui avait tendance à gâcher de belles occasions. Comme en 2013 en Alsace lorsqu’il faisait jeu égal au volant de la Fiesta avec Loeb et Ogier jusqu’au moment où il a perdu tout espoir de victoire en attaquant trop fort à la sortie d’un virage et creva un pneu sur une bordure. Dans les exemples plus récents, il y a bien évidemment le Monte Carlo et la Suède 2017 qui ont fait craindre un beau gâchis. Beaucoup le comparaient alors à François Duval, autre pilote belge dont la vitesse pure est certainement une des plus redoutables de ces dernières années mais dont l’avenir et les chances de victoires et de titres mondiaux ont été gâchés par une incapacité à maitriser cette vitesse.
Rappelons-nous le début du mois de janvier, lorsque l’échiquier des baquets disponibles s’est enfin rempli. Thierry Neuville et Nicolas Gilsoul à bord de leur Hyundai i20 WRC étaient déjà cités comme étant les grands favoris pour le titre mondial. Leur domination au Monte Carlo et en Suède ont donné raison à ce pronostic, mais leur résultat final lors des deux premières manches de la saison ont fait douter les observateurs et fait craindre une saison moyenne remplie d’occasions manquées. La victoire en France a laissé entrevoir un pilote complet se révéler. Il est allé chercher le leadership puis l’a conservé jusqu’au bout en résistant à la pression. Il lui fallait juste transformer l’essai.
En arrivant en Argentine, Thierry Neuville et Nicolas Gilsoul étaient modestes vis-à-vis de leur week-end. Le pays des Gauchos ne leur a jamais réussi – avec une cinquième place pour meilleur résultat – et ils visaient simplement l’arrivée en évitant les soucis. Sur un rallye aussi difficile et agressif avec les mécaniques, cela aurait dû suffire pour prétendre à un résultat correct. Mais il a fallu composer avec un Elfyn Evans tout bonnement sublime qui a éclaboussé la première journée en repoussant tous ses adversaires à une bonne minute.
Mais c’était sans compter sur un Neuville en état de grâce. Après avoir résisté à un amortisseur cassé vendredi, la Hyundai i20 #5 est peu à peu remontée sur Evans dans le courant de la journée de samedi pour attaquer les trois dernières spéciales de dimanche avec un retard retombé à 11 petites secondes. Neuville l’a alors annoncé, il allait pousser pour aller chercher la victoire.
En reprenant d’abord 2.5 sec à Evans dans le premier chrono – où il terminait deuxième derrière Tanak – puis 8.5 secondes en signant le scratch, Neuville abordait la Power Stage avec un retard de 0.6 seconde sur le Britannique. La tension était à son comble dans les deux camps. Ils pouvaient tout perdre en l’espace d’un instant mais avaient tout à gagner, Evans sa première victoire et Neuville une excellente opération au championnat – d’autant plus qu’Ogier végétait en quatrième position – mais surtout un bonus de confiance phénoménal.
Il aura fallu attendre qu’Evans termine sa prestation et surtout bien regarder à deux fois les chronos pour se rendre compte que les 1.3 sec de différence entre les deux hommes sur la Power Stage permettaient à Thierry Neuville et Nicolas Gilsoul de prendre la tête du rallye pour la première fois mais surtout d’empocher, en plus des 5 points attribués au vainqueur de la Power Stage, les 25 points de la victoire pour 0.7 seconde. Soit une broutille.
Ce suspense me rappelle un certain rallye de Nouvelle Zélande en 2007 quand Marcus Grönholm et Sébastien Loeb s’étaient livré un combat titanesque que le grand Finlandais avait remporté pour seulement 0.3 sec après plus de 350Km de rallye. Le plus petit écart enregistré à l’issue d’une manche du championnat du monde des rallyes reste cependant les 0.2 sec entre Latvala et Ogier en Jordanie en 2011. Mais cette année en Argentine, nous n’en sommes vraiment pas loin. Un écart de quelques centimètres sur un rallye où tellement de choses peuvent arriver montre bien le niveau de compétitivité auquel ces pilotes sont arrivés.
Thierry Neuville et Nicolas Gilsoul peuvent désormais voir l’avenir avec sérénité. Un cap a été franchi. Ils sont capables d’attaquer jusqu’au bout sans faillir même sur un rallye qu’ils n’apprécient pas, avec lequel ils ne sont pas en confiance. Nicolas Gilsoul annonçait avant le rallye : “Il vaut mieux être un couillon vivant qu’un héros mort.” Sur ce coup, ils sont des héros bien vivants !
Mais Nicolas est un homme sage : “C’est peut-être la plus belle victoire de notre carrière, à égalité avec le San Remo. Ici, on était entre deux chaises : attaquer fort tout en préservant la mécanique. La sérénité amène la sérénité. On y travaille et on met un point d’honneur à ne pas reproduire les erreurs du passé. Plus que jamais, on est en lutte pour le titre.”
Thierry est lui aussi serein et confiant en ses capacités et surtout en sa voiture et son équipe : “Deux succès consécutifs en WRC : c’est inédit pour un pilote belge en championnat du monde. On s’écrit dans les livres d’histoire. Si nous voulons être champions, il faudra en gagner d’autres. L’objectif est d’être performant. On revient à 18 points de Sébastien Ogier et 2 points de Jari-Matti Latvala, c’est pas mal. J’ai une voiture qui me permet de jouer pour la gagne. Aujourd’hui, nous avons tous les outils pour nous bagarrer devant. Ce succès en attirera peut-être encore d’autres.” a-t-il confié au micro de la RTBF.
Et c’est tout le mal qu’on leur souhaite ! Avec désormais 4 victoires en WRC, le Belge rejoint dans le tableau des statistiques des pilotes tels que François Delecour ou Michèle Mouton. Il ne reste plus qu’à continuer de monter dans le tableau pour rejoindre les Markko Martin, Gilles Panizzi ou Ari Vatanen. Il est cependant évident désormais que cette victoire ne sera pas la dernière !