Pour une course réussie, prenez un beau circuit, sélectionnez la crème des concurrents, réunissez-y des voitures qui font rêver et saupoudrez d’une pincée d’incertitude pour la météo et le tour sera joué. Une recette simple au demeurant, mais délicate à exécuter. Alors comment l’organisation, gérée par SRO Motorsport Group, s’en est-elle sortie? Les équipes et les pilotes furent-ils à la hauteur? La météo a-t-elle été digne de la réputation de Spa? Et surtout, le public a-t-il répondu présent?
Une organisation aux petits oignons
Tout a commencé avec la traditionnelle parade le mercredi pour amuse-bouche. Un défilé des plus rutilantes GT3 qui a brassé les foules au centre de la cité thermale la plus célèbre des Ardennes sous un soleil radieux.
Comme toujours, Laurent Gaudin – Manager général – et son équipe ont géré de main de maître un événement qui gagne en ampleur chaque année.
En entrée, les pré-qualifications et qualifications, de jour comme de nuit, offraient aux spectateurs des saveurs équilibrées et variées, le tout accompagné d’une super-pole pour le moins relevée… à l’arrière-goût plutôt pimenté. Car on ne transige pas avec le respect des recettes, pardon des règles, chez SRO! Mercedes a abusé du sel, tentant de faire passer à la tablée une soupe un peu trop corsée qui en aura vu tousser plus d’un. L’étoile de Stuttgart a eu la main lourde au point de voir son assaisonnement peu inspiré voler à l’évier. Et corvée de plonge – dans le classement – pour les AMG GT GT3!
Entre Pit-Walk, Grid-Walk, séance d’autographe et stars en pagaille, l’ouverture du plat principal se voulait roborative. On peut juste regretter le fait qu’il fut délicat, pour les journalistes comme les photographes, de s’atteler à leur service sur la grille de départ, tellement bondée de spectateurs que la prise de photos fut compliquée, l’espace manquant, alors qu’atteindre les pilotes relevait de la mission quasi-impossible sur le temps imparti. La formule des voitures en épi “protégées” par un cordon de l’an dernier semblait plus pratique. Mais la mise en place de ce weekend a démontré son bien-fondé auprès du public, donc peut-être faudra-t-il tenter un compromis entre les deux solutions.
Au delà de l’aspect purement opérationnel de l’épreuve, la gestion sportive a démontré l’implication et le professionnalisme des hommes de Stéphane Ratel. Inflexible face aux écarts et manquements des pilotes et des équipes, la direction de course n’a jamais hésité à sanctionner les fautifs, parfois à la limite de l’excès de zèle, mais au moins ne pourra-t-on pas les taxer de laxisme. Mais l’épisode le plus marquant dans la prestation de SRO aura été la pénalisation des 6 Mercedes après la Super-Pole. Une décision retentissante qu’il fallait oser prendre. Une tâche que les commissaires techniques et sportifs ont relevée avec fermeté et clarté et qui a envoyé un message clair et net : on ne triche pas sans être puni!
Et pour ceux qui remettraient la BoP en cause… signalons que c’est une Ferrari 458 Italia “ancienne génération” qui s’est imposée en Am face à deux Ferrari 488 “nouvelle” ère. Ajoutons à cela 20 voitures (pour 7 marques différentes) en une seconde en qualifications, 13 en qualifications de nuit. Difficile de faire plus équilibré. Alors oui le gueuleton fut riche en saveurs, mais force est de constater que le repas s’est révélé digeste et qu’au lendemain du festin, rares sont ceux qui n’ont pas déjà réservé leur table pour 2017!
Des acteurs au niveau pour la plupart
Ne tournons pas autour du pot, l’immense majorité des acteurs a parfaitement joué son rôle, que l’on parle des équipes, des pilotes ou des commissaires de piste et des stands, en passant par les commentateurs du live streaming et l’équipe des speakers. Seule fausse note, mais elle est de taille : la “triche” des équipes Mercedes durant la Super-Pole.
Certes, nombreux étaient les observateurs à être persuadés que les GT3 à l’étoile cachaient leur jeu – un peu plus que d’autres – depuis le Paul Ricard; Test Day, essais libres, pré-qualificatifs et qualificatifs compris. Votre serviteur partageant cette opinion. Alors, nous posons la question suivante : comment HTP Motorsport, Black Falcon et AKKA-ASP ont-ils pu croire que personne – chez la concurrence ou dans le chef de SRO – ne trouverait bizarre que leurs voitures surclassent la Super-Pole de la sorte, à plus forte raison avec un chrono de pôle à ce point au dessus du lot dans un peloton GT3 soumis à une BoP sensée éviter toute domination d’un modèle sur les autres… Non, à trop vouloir être plus malin que les autres, Mercedes a fait preuve d’arrogance et en a payé le prix fort. Quand on retrouve deux des exemplaires pénalisés dans le top 5 et jouant la troisième marche du podium à une demi-heure du terme, malgré un rythme en course revenu “à la normale” ou moins dominateur, on peut se dire que les équipes soutenues par AMG peuvent nourrir de profonds regrets.
Votre serviteur ne s’en cache pas, un tel comportement est tout bonnement pitoyable. Et quitte à s’exprimer, autant dire franchement ce que beaucoup pensent tout bas : c’est Mercedes-AMG le coupable premier. Comment imaginer que l’ordre de filouter soit venu d’ailleurs que du board du constructeur quand on constate que les TROIS équipes ont triché de la même manière au même moment? On peut s’étonner que seules les Mercedes inscrites en Super-Pole ait été concernées par ces infractions… En outre, il nous semble très difficile de croire que des équipes avec l’expérience de Black Falcon, HTP ou AKKA-ASP aient pu d’elles-mêmes prendre le parti de tenter le diable avec plus d’une auto tant il était évident qu’une grille de départ avec 6 Mercedes sur les trois premières lignes aurait généré une suspicion légitime. Il est vrai que la firme à l’étoile avait mis le paquet cette année, que ce soit en nombre de voitures inscrites en Pro, de communication – décos spéciales, association avec Linkin Park, etc – ou avec une superbe hospitalité au virage de la Source…
Alors certes, nul dans le clan Mercedes n’a fait appel et parler de comportement anti-sportif est délicat, peut-être même erroné. Mais si les pénalités infligées sont dues à une infraction au règlement sportif, justifiant donc la sanction; pourquoi les bolides à l’étoile n’ayant pas pris part à la super-pole – et sensées être identiques à celle qui en étaient – n’ont-elles pas été déclarées non-conformes elles aussi? Deux possibilités logiques se présentent : ou toutes les Mercedes étaient identiques et les instances sportives ont fait deux poids deux mesures, ce qui semble peu probable au vu de l’intransigeance dont elles ont fait preuve tout au long de la semaine; ou les AMG GT GT3 ayant émargé aux 20 chasseurs de pole position ont été modifiées sciemment et de façon identique dans trois équipes différentes. Peut-être n’aurons-nous jamais de réponse à ces questions. Au final, le constructeur allemand mérite une carte rouge sans équivoque.
Mercedes a (mal) joué et a perdu… par sa propre faute!
S’il fallait sortir un autre carton, jaune cette fois, ce serait à Bentley M-Sport. Débarrassées des Mercedes, les deux Continental GT3 “officielles” voyaient leurs chances de l’emporter grimper en flèche. Et cela se confirmait au fil de l’épreuve, la #7 de Smith-Kane-Abril et la #8 de Soulet-Reip-Soucek pointant systématiquement aux avant-postes. Las, la première citée rencontrait quelques soucis qui finissaient par l’éloigner du podium. Pour la seconde, les chances de victoire restaient réelles jusqu’à un peu plus d’une heure de l’arrivée quand elle subissait une crevaison la contraignant à un passage par les stands supplémentaire par rapport à la BMW #99.
La plus haute marche du podium échappait alors définitivement – à la régulière du moins – à Maxime Soulet, Wolfgang Reip et Andy Soucek. Malheureusement, il n’en fut pas de même pour la gestion de la course, l’équipe et les pilotes commettant trop d’erreurs sanctionnées de pénalités qui privaient la marque de Crewe d’un succès retentissant. Le premier à le reconnaître n’étant autre que Christian Loriaux, directeur technique de l’équipe : “Pilotes, mécaniciens, staff, on a tous fait des fautes qui nous coûtent la victoire. Sans toutes nos conneries, on aurait dû gagner avec deux ou trois tours d’avance. La voiture méritait la victoire, nous pas!“
Si l’on peut féliciter HTP Motorsport, Black Falcon et AKKA-ASP pour la gestion de leur course – bien aidée par le premier FCY à l’entame de la course, minimisant grandement l’impact du stop & go de 5 minutes – avec au final la #88 couvée par Jérôme Policand et ses ouailles sur la deuxième marche du podium, nous aimerions souligner la prestation de deux autres équipes.
Commençons par le Belgian Audi Club Team WRT de Vincent Vosse. Peu gâtée par la réussite cette année, avec des voitures impliquées dans des accrochages, des soucis de fiabilité – moteur cassé pour la #2 – et autres tourments, les membres de l’équipe belge n’ont jamais baissé les bras, attaquant sans relâche, fidèles à la philosophie de Vosse : la victoire ou rien! Une mentalité qui aura permis à Laurens Vanthoor, René Rast et Nico Müller de décrocher la troisième marche du podium au sortir d’une dernière heure de course dantesque.
Enfin, comment passer à côté de la première victoire de Maxime Martin? Engagé au volant d’une BMW M6 GT3 ROWE Racing, le Belge était tout sauf pointé parmi les favoris au départ d’un double tour d’horloge qui lui échappe depuis de nombreuses années. Il faut bien le reconnaître, la nouvelle arme à l’hélice n’avait guère les faveurs des pronostics au vu de ses prestations depuis le début de la saison. Voiture manquant de vitesse, délicate à régler et à piloter (selon certains de ses pilotes), les indicateurs n’étaient pas spécialement positifs. C’était oublier que c’est une M6 GT3 qui avait terminé première “non-Mercedes” aux 24 Heures du Nürburgring déjà avec ROWE. Jamais la plus rapide en piste – meilleur chrono en course de 2’20″054 pour 2’18″793 à l’Audi #28 – mais toujours dans le “bon paquet”, la #99 n’a connu aucun souci majeur du départ à l’arrivée. Au final, Maxime Martin aura vaincu le signe indien – cette fois c’est l’autre voiture de l’équipe qui héritait du chat noir et cassait son moteur – pour enfin ceindre les lauriers tant convoités et ajouter un septième succès aux 24 Heures de Spa au palmarès de la famille Martin (4 pour le papa Jean-Michel dont 2 avec le tonton Philippe).
Si l’on a coutume de dire que l’endurance moderne se résume désormais à un sprint de longue haleine, les Total 24 Heures de Spa 2016 ont démontré que les grandes courses d’endurance consacrent toujours les valeurs fondamentales de ce sport.
Oui les vainqueurs ont roulé à fond du début à la fin, alignant les sprints de 65 minutes à chaque relais. Mais il en fut de même pour tous leurs concurrents directs, parfois plus véloces sur la piste. Ce qui a fait la différence relève donc toujours des fondamentaux d’un double tour d’horloge : ne pas commettre d’erreurs en piste ou dans les stands, garder son calme dans les phases délicates de la course (neutralisations, conditions météo changeantes), faire preuve d’une fiabilité sans faille.
Une formule identique a permis à IMSA Performance de l’emporter en Pro-Am Cup face à des rivaux souvent plus véloces sur un tour mais moins fiables ou ayant commis davantage d’erreurs sur la piste ou dans les stands.
La foule des grands soirs
Si les chiffres de fréquentation officiels ne sont pas encore tombés, les impressions sont elles claires et nettes : le public était bel et bien au rendez-vous!
Dès la parade du mercredi, la foule qui entourait les GT3 disséminées de part et d’autre des anciens thermes de Spa ne laissait planer aucun doute sur le succès populaire d’une épreuve qui s’inscrit définitivement comme l’un des deux grands événements de l’année des sports-moteurs en Belgique avec le Grand-Prix de Formule 1. Et cette belle entrée en matière se confirmait le lendemain avec un public déjà très nombreux – davantage qu’en 2015 – pour assister aux essais libres et qualificatifs des 24 Heures et des compétitions annexes.
Le niveau de spectacle franchissait un cap supplémentaire le vendredi avec les courses de Formule Renault, F3, Lamborghini Super Trofeo et Blancpain GT Sports Club qui montaient le public en température pour le feu d’artifice de la Super-Pole. Un exercice bref mais intense qui laissait la place ensuite à la première animation du weekend avec le jogging qui réunissait une flopée d’aficionados de course à pied.
Enfin, outre la course précédée du Pit-Walk – accessible pour tout détenteur d’un pass Paddock – avec séance d’autographes et la Grid-Walk, la présence des membres du groupe Linkin Park agitant le drapeau belge – littéralement tombé du ciel – au départ du tour de mise en grille finissait de chauffer la foule qui garnissait généreusement les tribunes bétonnées ou naturelles tout au long du circuit. Un public nombreux et enthousiaste qui devenait plus conséquent encore au fil des différents concerts de prestigieux DJ à peine la nuit tombée.
Signe révélateur, ils étaient encore des milliers à colorer les travées du toboggan ardennais au petit matin. Un nombre qui gonflait encore à l’approche du drapeau à damier, et c’est face à des gradins remplis que les vainqueurs du jour s’offraient une douche de champagne bien méritée. D’aussi loin que votre serviteur s’en souvienne, un tel succès ne s’était plus vu depuis près de vingt ans avec pour nuance qu’aujourd’hui, il n’y a plus d’importateurs offrant des entrées à tours de bras durant les semaines qui précèdent les 24 Heures. Tout le mérite en revient à SRO Motorsport Group et aux initiatives inspirées de Stéphane Ratel, Laurent Gaudin et leurs acolytes.
Alors rendez-vous en 2017 pour voir ce qu’ils nous auront concocté!