Bonjour Romain comment allez-vous avec les fêtes et le Dakar qui approchent à grands pas ?
R.D : Là je suis en plein dans la préparation du Dakar. Ça fait même quelques nuits que je dors dans une chambre hypoxique pour mieux me préparer aux conditions en altitude. La voiture est bien partie, entièrement révisée à neuf et tout est parfaitement en place.

Vous allez prendre à nouveau le départ du Dakar avec une Peugeot. Quels seront vos objectifs ?
Le but, au final est d’arriver au bout de l’épreuve et si possible aux portes du Top 10 car devant il y a pas mal de voitures officielles – Peugeot, Toyota et Mini – pilotées par des spécialistes. Donc le premier objectif est de ne pas commettre d’erreurs et le deuxième d’aider Peugeot au maximum, en espérant qu’ils n’auront pas trop besoin de moi, ce qui m’évitera de m’arrêter trop souvent.
Que cherchez vous de particulier, en tant que pilote, dans une telle épreuve ?
Je pense que le Dakar correspond à une grande course de 24 heures. Il faut une bonne voiture dans une bonne équipe. Si tu te retrouves dans une auto qui rencontre sans cesse des problèmes, forcément tu ne prends pas de plaisir si tu es un compétiteur ; parce que la performance ne sera pas là.
Cette année, je sais que je serai au volant d’une très bonne voiture, mon équipe je sais ce qu’elle vaut et j’aurai un nouveau copilote, Alain Guehennec en l’occurrence, qui a plus de 20 départs au Dakar à son actif et qui n’est certes pas le plus jeune mais pourra m’apporter beaucoup par ses connaissances. Du coup, je me dis que c’est vraiment l’année pour bien figurer et voir définitivement si ce genre d’épreuves me plait ou pas .
Le but, au final est d’arriver au bout de l’épreuve et si possible aux portes du Top 10
Félicitations pour votre titre en WEC. Qu’est-ce que ça fait, qu’est ce que ça change d’avoir un titre de Champion du Monde sur son CV ?
Franchement, je ne fais pas cela pour avoir une ligne de plus sur un CV. Alors certes, je n’ai jamais nié que les résultats faisaient partie du plaisir car ils sont la preuve que tu as atteint tes objectifs. Que ce soit en WEC, au Dakar ou au Monte Carlo avec une Porsche, même si tu sais pertinemment bien que tu ne peux pas gagner au général, quand tu décroches un bon résultat, tu sais dans quelles conditions tu es allé le chercher. À l’inverse, j’ai fait l’Alsace avec une WRC et là j’ai vu que j’avais encore pas mal à améliorer.
Maintenant, en championnat du Monde d’Endurance, avec la meilleure voiture, dans une équipe au top et avec des bons équipiers, l’objectif est forcément de gagner le titre.
Quand j’ai gagné l’ALMS avec Porsche, c’était le championnat le plus relevé qui existait avec des adversaires comme Honda, Peugeot, Audi… Il y avait 13 à 15 voitures pouvant gagner une course. En comparaison, le WEC se résumait à une lutte à 6 pour le titre. C’était une approche un peu différente, mais je suis heureux d’avoir gagné le championnat. Maintenant il ne me manque plus que Daytona et j’aurai tout gagné dans cette discipline.
Ce titre n’est pas le seul fait marquant positif de 2016 puisqu’il y eut également les victoires au Mans puis à Pikes Peak. Que vous apportent ces succès ?
La victoire au Mans, c’est une belle satisfaction. La boucle était bouclée. Sur le moment, j’ai vécu ce succès en étant très serein. L’émotion fut très forte c’est certain, mais mon tempérament de compétiteur a rapidement repris le dessus. Pour Pikes Peak, les conditions dans lesquelles nous sommes allé chercher la victoire et le fait de gagner dans la foulée du Mans a rendu l’expérience particulière. Le lundi après le Mans, j’étais avec Norbert Santos et je lui disais qu’il fallait vraiment qu’on fasse tout pour gagner, que ce serait un truc unique que personne n’avait encore fait, remporter le Mans puis le weekend suivant gagner la plus grande course de côte au monde.
La victoire au Mans, c’est une belle satisfaction. La boucle était bouclée… gagner le Mans avec Porsche, c’est ce qui fut le plus fort. C’est un accomplissement.
Ressentez-vous une satisfaction personnelle plus grande quand vous gagnez avec un grand constructeur comme Porsche ou avec votre petite équipe d’amis ?
Excellente question. C’est difficilement comparable et chaque victoire a ses spécificités. Le Mans, c’est Le Mans et gagner avec Porsche, c’était mon rêve. Comme je l’ai expliqué juste avant, la victoire à Pikes Peak restera très spéciale pour les conditions dans lesquelles elle est arrivée. Et surtout gagner deux courses aux caractéristiques aussi différentes, ça représente ce que j’aime, les pilotes à l’ancienne comme Jacky Ickx par exemple.
En réussissant cette performance, j’ai pu mettre en avant tout ce que je prône depuis des années. C’est certain qu’il existe des pilotes de circuit exceptionnels, mais je me souviens que quand j’étais gamin, à l’époque du karting, si tu ne savais pas faire un travers, tu n’étais pas un vrai pilote, c’est ça qui nous faisait rêver. Sur ce point, un pilote de rallye est bien plus impressionnant. Moi les gars qui me faisaient rêver, que j’admirais c’était des Walter Röhrl ou Jacky Ickx.
Mais clairement, gagner le Mans avec Porsche, c’est ce qui fut le plus fort. C’est un accomplissement.
Vous êtes l’un des rares pilotes du top mondial à être réellement interdisciplinaire. On vous voit en endurance, en rallye, en course de côte en rallye-raid. Est-ce un besoin pour vous ? Cela vous apporte-t-il quelque chose sur le plan du pilotage ?
Si on parle de pilotage pur, bien entendu que ça aide, c’est certain. Maintenant si on considère le pilotage d’une LMP1, ces voitures-là demandent tellement de précision, d’engagement personnel et de manipulations en raison du système hybride que le naturel ne paie plus. Seul le travail paie.
À l’inverse, le pilotage ultra propre imposé par le LMP1 peut apporter un plus en rallye ou en rallye raid en termes de précision, de contrôle de soi et de recherche de l’efficacité.
Vous pouvez prendre le meilleur pilote et le mettre dans une LMP1. Il peut être aussi doué qu’il veut, si il ne comprend pas le système hybride et son mode de fonctionnement, s’il n’a pas un ordinateur dans la tête en conduisant, il ne sera pas forcément le plus performant.
Partant de ce constat, un pilote instinctif et passionné comme vous prend-il encore réellement du plaisir dans une LMP1 comme la 919 Hybrid ?
Oui on prend du plaisir en ce sens que le plaisir nait des résultats. Si vous gagnez vous prenez du plaisir et pour gagner il vous faut apprendre le mode de fonctionnement de ces voitures qui sont si particulières à piloter. Mais entendons-nous bien, ça va au delà de ce qu’on apprend en école de pilotage. Je pense qu’il n’y a pas un pilote de LMP1 aujourd’hui qui vous dira qu’il est heureux de devoir toucher à son volant dix fois par tour et de parler avec ses ingénieurs sans arrêt. C’est comme pour la F1 quand Pirelli est arrivé et qu’il a fallu économiser les pneus tout au long de la course. Ça fait partie de la course moderne et il faut bien s’adapter.
L’annonce de votre mise à l’écart du programme LMP1 a fait l’effet d’une bombe. Quel regard portez-vous sur cet évènement ? Comment en est-on arrivé là ?
Je dirais que les réponses sont dans la question. L’analyse que les gens en ont fait de l’extérieur correspond à ce que moi j’ai vécu de l’intérieur. Pour moi ça a aussi fait l’effet d’une bombe, surtout quand on est passionné comme je le suis.
Avec Marc Lieb, vous pouvez vous targuer d’un des palmarès les plus riches et prestigieux de tous les pilotes Porsche. Que représente cette marque à vos yeux? La passion pour Porsche est-elle toujours aussi forte ?
Attention, il faut faire la part des choses. Ce qui s’est passé avec le LMP1 ne relève pas de Porsche la marque. Mon père courait avec des Porsche dans les années 70, j’ai grandi Porsche, mon équipe fait rouler des Porsche, je transpire Porsche. Et ça n’est pas près de changer, la passion reste là et bien là.

Il a été annoncé que vous feriez toujours partie de la famille Porsche, mais concrètement, vous verra-t-on encore rouler pour eux en 2017 ? Peut-on espérer vous revoir en GT, au Nürburgring ou à Spa par exemple ?
Alors j’ai une énorme chance, c’est que depuis 15 ans, même si les gens changent, partent à la retraite etc. au sein de la marque, Porsche ne se limite pas au LMP1. Je peux me targuer d’avoir encore pas mal de gens qui m’apprécient dans le secteur GT. Certes je suis déçu, je ne vais pas le nier, mais en contrepartie, depuis des années, je demande à faire des épreuves comme les 24 Heures du Nürburgring et de Spa et ça m’était refusé en raison du LMP1. Donc il est évident que ces deux courses font partie de mes priorités pour 2017.
J’ai toujours été droit et tout le monde sait que si je disais aujourd’hui que je suis super content de ne pas être dans une LMP1 je mentirais.
Le monde du sport auto évolue avec son temps, de plus en plus dirigé par l’argent. Pensez-vous qu’il reste encore de la place pour l’aventure humaine, la fidélité à une marque et les belles histoires ?
C’est une vraie question dont j’espérais connaitre la réponse. Pour moi, Porsche, ça a toujours été ça, un engagement absolu, à 100%. Je me souviens très bien qu’en 2010 quand je disais que j’étais heureux de gagner le Mans avec Audi, mais que ce serait mieux avec Porsche, les gens ont dit mais quel scandale, pour qui il se prend celui-là. Je n’ai jamais dit que je n’aimais pas Audi ou que je n’appréciais pas le Dr. Ulrich ou mes équipiers. Mon propos était simplement que si j’en étais là c’était grâce à Porsche et uniquement parce que Porsche m’autorisait à le faire. Mon rêve a toujours été de gagner le Mans avec Porsche, donc oui remporter la classique sarthoise était quelque chose de super, mais la victoire de cette année avec le constructeur de mon cœur avait encore une toute autre dimension.
Bon malgré cela, on a pu constater que les choses pouvaient changer très vite. Les belles histoires, je pensais que l’Endurance était beaucoup plus loyale que la Formule 1, raison pour laquelle je ne me voyais pas du toute en F1, même à l’époque de mes essais en 2002 avec Renault. À l’époque, ce monde-là ne correspondait pas à ma conception du sport automobile qui reste une passion avant tout. Raison pour laquelle je me suis tourné vers l’endurance.
Selon moi, il faut être passionné par ce que tu fais. Sans ça, comment veux-tu tout donner pour ton métier ?
En restant dans l’idée des belles histoires, vous roulez avec votre équipe en rallye, à Pikes Peak avec Norbert Santos, en rallye raid… peut-on imaginer voir Romain Dumas et son équipe évoluer en Blancpain Endurance Series ou en compétition IMSA par exemple ? Ou restez-vous concentré à 100% sur votre carrière de pilote ?
Franchement, je ne me vois pas en patron d’écurie. En endurance, j’ai quasiment tout gagné, mais le plaisir de rouler est toujours là. Je sais trop à quel point le boulot de patron est compliqué et exigeant sur le plan économique et je pense que je suis tellement passionné que je ne serais certainement pas un bon business man. Même si quand je fais rouler Astier en championnat de France ou Kelders en Belgique, sans rouler moi-même, tout est fait pour le mieux. Mais le but reste clairement de profiter du plaisir d’être derrière un volant et de m’éclater.
Quand tu as un gars comme Tom Kristensen qui vient me voir après le Mans et me dit qu’il aimerait tellement être à notre place, tu comprends que tant que tu peux rouler, tu dois le faire.
Quel cadeau de Noël aimeriez-vous recevoir pour la saison 2017 ?
Déjà d’avoir des volants sympathiques, de prendre du plaisir au volant et de connaitre un bon Dakar. Car comme je l’ai dit au début de cette interview, mes idoles ce sont des hommes comme Jacky Ickx, donc le Rallye Raid pourrait être une opportunité qui me convienne.
Mais l’essentiel, que ce soit pour moi ou pour tout le monde, c’est d’avoir la santé et le plaisir de faire ce qu’on aime…