Bien que la saison du Championnat du Monde d’Endurance (WEC) n’ait pas encore atteint son épilogue, un bilan peut déjà être tiré quant au présent de la série et même son avenir immédiat. De leur côté, les Blancpain GT Series et l’IMSA WeatherTech SportsCar Championship ont tiré le rideau sur l’opus 2017 et verront arriver 2018 avec optimisme. Analyse des tendances de l’Endurance.
- FIA WEC/24 Heures du Mans : les yeux plus gros que le ventre ?
Quand la FIA et l’ACO ont décidé de jouer à fond la carte de l’hybride pour leur catégorie reine LMP1, tout le monde a applaudi, les constructeurs en tête. Fort de cet enthousiasme, les décideurs s’étaient fendus d’une totale refonte de leur communication avec un site revu et corrigé, une App à destination des fans, une activité accrue sur les réseaux sociaux. Tout était donc réuni pour que le WEC devienne LA discipline hype et porteuse du sport automobile quand la F1 se voulait en perte de vitesse et la Formule E encore en construction. Si Peugeot, grand supporter de cette orientation technologique pourtant, avait fait faux bond aux organisateurs en 2012, l’honneur était resté sauf grâce à l’arrivée de Toyota aux côtés d’Audi. 2014 voyait même le duel s’élargir avec la venue de Porsche tandis que Nissan allait s’offrir une entrée en grandes pompes pour une sortie en eau de boudin. Liberté technologique, respect de l’environnement en toile de fond, équité des performances et spectacle sur la piste étaient au rendez-vous et l’on parlait déjà de coup de génie de la part de l’ACO et de son partenaire, ouvrant plus encore l’appétit de leurs dirigeants tout autant que les attentes des fans.
Las, le Dieselgate et l’élan un peu trop enthousiaste des concepteurs des règles techniques allaient jeter un froid. Au terme de la saison 2016, Audi annonçait son départ de la discipline, les Quatre Anneaux se réorientant vers la Formule E. Un coup de semonce suivi d’un coup fatal (?) un an plus tard quand le cousin Porsche décidait, lui aussi, de déserter son terrain de jeu favori pour préparer son nouveau défi dans la compétition “full électrique” et citadine, laissant Toyota seul face à son destin.
Qu’elles semblent loin les déclarations optimistes et grandiloquentes de juin dernier lorsque fut révélé le nouveau règlement technique. Plus ambitieux, proposant un pas supplémentaires vers le futur avec une part plus importante encore donnée à l’électricité et aux nouvelles technologies. Si, sur le papier, cette volonté de pousser plus loin la philosophie actuelle peut paraître louable, déjà nombreux furent ceux qui se posèrent la question du réalisme d’une telle orientation. Alors que d’aucuns fustigeaient les budgets en croissance exponentielle, la fiabilité en régression proportionnelle aux progrès face au chronomètre, voilà que l’ACO et la FIA en rajoutaient une couche ! Comment dès lors conserver des constructeurs en place quand ces derniers ne peuvent réellement capitaliser en termes de communication que sur les seules 24 Heures du Mans, et comment attirer de nouvelles marques qui se retrouveraient avec une guerre de retard sur le plan de la maitrise technologique face aux concurrents déjà en place et donc des budgets astronomiques pour se remettre à niveau.
Et les 24 Heures du Mans 2017 d’offrir en mondiovision toute la fragilité du système en place. Avec 6 LMP1 dont 5 hybrides au départ et autant de concurrents ayant rencontré des problèmes de fiabilité, au point de passer à une demi heure d’un podium 100% LMP2, que restait-il de la grandeur des prototypes ultra-technologiques ? Le prestige du nom Porsche ? La sympathie pour le “Poulidor” Toyota ?
Heureusement, les catégories “inférieures” avaient, elles, assuré le spectacle avec des LMP2 bien plus fiables qu’attendu et très bien pilotées, rapides et spectaculaires à regarder, tandis que le LMGTE offrait de superbes affrontements du départ à l’arrivée entre des GT proposant de la variété dans les lignes, le son et les options techniques, aux mains d’équipages 100% Pro. Même le LMGTE Am y allait de sa contribution au plaisir des spectateurs.
Aujourd’hui que reste-t-il entre les mains de la FIA et de l’ACO ? Beaucoup d’incertitudes et quelques certitudes. Au rang des premières figure l’avenir de la catégorie reine. En dehors des 24 Heures du Mans – pour autant que Toyota daigne tenter de les remporter sans adversaire – verra-t-on encore des LMP1 hybrides en action en 2018 ? Le doute est légitime, à plus forte raison depuis l’annonce par Peugeot de l’absence du Lion dans la Sarthe la saison prochaine. Concernant les LMP1 privées et non-hybrides, les annonces d’intention se multiplient mais quid du nombre de protagonistes sur les grilles de départ et de leur capacité à garder la main sur des LMP2 diablement compétitives ?
Au sujet de ces dernières, plusieurs équipes se sont plaint que les coûts annoncés à la baisse n’étaient pas forcément au rendez-vous alors que le règlement autorisant à Ligier, Riley/Multimatic et Dallara d’utiliser leur joker en raison de leur déficit de performances face aux Oreca 07 quand celles-ci ne pourront pas le faire ne déstabilisera-t-il pas un marché qui a vu les LMP2 varoises monopoliser – ou presque – la catégorie en FIA WEC ?
Seule certitude encourageante, le GTE se porte bien. Avec déjà 4 constructeurs – 5 au Mans avec Chevrolet – et un cinquième dès 2018 engagés sur toute la saison, la catégorie Pro a très belle allure et assure plus que sa part de spectacle lors de chaque épreuve. Aux Ferrari 488 GTE, Ford GT et Porsche 911 RSR viendront donc s’ajouter les nouvelles Aston Martin Vantage GTE et BMW M8 GTE tandis que les Corvette C7.R devraient à nouveau venir se mesurer à ce petit monde en juin prochain. Quant au GTE Am, il voit s’opérer une mutation avec l’arrivée de la nouvelle génération de GTE d’une part et le coût d’exploitation de ces dernières d’autre part. Signe d’un malaise malgré tout, des courses “Sprint” sont envisagées pour les GTE en prélude de chaque course “Endurance” pour assurer le spectacle et mettre en valeur les constructeurs impliqués… S’appeler Championnat du Monde d’Endurance et proposer des courses courtes avec des concurrents destinés aux courses longues… un concept qui devra faire ses preuves.
- Quelles solutions ?
Parce que critiquer n’a d’intérêt que si cela s’avère constructif, en véritables amateurs de l’Endurance et des 24 Heures du Mans, nous nous devons de partager notre foi en la discipline et notre volonté de la supporter.
Comme l’a répété Henri Pescarolo maintes et maintes fois, un championnat qui privilégie les constructeurs est un championnat en soins palliatifs. À trop vouloir mettre le développement technologique au devant de la scène, alors que la majorité des spectateurs se fout royalement de savoir si telle ou telle voiture récupère de l’énergie avec ses freins ses turbos ou la transpiration des pilotes, les législateurs ne se sont-ils pas tiré une balle dans le pied. Certes le développement de nouvelles technologies a toujours été étroitement lié aux 24 Heures du Mans – et donc par alliance au WEC désormais – mais il implique des dépenses exorbitantes qui effraient les nouveaux-venus.
Pourquoi ne pas imposer un système de récupération d’énergie et des batteries standardisés capables d’accumuler 8MJ par tour au Mans et qui serait commercialisé à prix réduit aux privés, avec un poids identique pour les LMP1 “officielles” et “privées”, les constructeurs pouvant pousser le développement sur le châssis ou la consommation du moteur thermique pour tenter de gagner un tour de plus à chaque relais. Au moins, en termes de performances pures, avec un kit aéro unique par saison, les équipes indépendantes pourraient rester très proches. Autre solution envisageable, l’obligation pour tout constructeur qui engage deux voitures officielles de fournir à un prix plafonné au moins deux exemplaires de sa LMP1 à une ou deux équipes privées. Certes ça ne rembourserait pas totalement le coût de développement mais ça permettrait de le diminuer et tout le monde serait gagnant, à commencer par le spectacle et les spectateurs.
Une autre option serait de proposer une catégorie basée sur des DPi/LMP2 “améliorées”. La base châssis existe, les constructeurs pourraient s’impliquer via des équipes partenaires à moindre frais tout en gardant une identification plus claire à la marque qu’avec une LMP1 moderne. Il ne fait aucun doute que gagner 50 ou 100 ch sur un V8 Cadillac, un V6 Turbo Nissan ou Honda ou un 4 cylindres Turbo Mazda ne poserait pas de grande difficulté. Ajoutez-y un système DRS pour augmenter encore l’avantage de ces super LMP2 ou super DPi face aux LMP2 classiques et vous obtiendrez un plateau riche en quantité et qualité pour des budgets sans commune mesure avec ce qui prévaut actuellement en LMP1 Hybride. Au final, un vainqueur restera un vainqueur et un vaincu restera un vaincu, une victoire au Mans gardera tout son prestige et offrira le même potentiel marketing.
Nous vous invitons bien entendu à nous faire part de vos impressions, de vos suggestions et de vos attentes quant à l’orientation du FIA WEC et des 24 Heures du Mans (frederic.kevers@actu-moteurs.com). Nous les synthétiserons et les partagerons ensuite.